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Fabriquer du lait maternel : le nouvel Eldorado

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Fabriquer du lait maternel : le nouvel Eldorado

Après les légumes de laboratoire, la viande de laboratoire, les scientifiques s’attaquent maintenant au lait maternel de laboratoire.

Une startup américaine, BIOMILQ, travaille à la production artificielle de lait maternel humain à partir de cellules épithéliales mammaires humaines cultivées. Cette alternative aux préparations commerciales pour nourrissons a reçu 3,5 millions de dollars de Breakthrough Energy Ventures pour se développer, un fonds d’investissement axé sur des alternatives respectueuses de l’environnement pour lutter contre le changement climatique, cofondé par Bill Gates (parmi les autres membres du groupe il y a le PDG d’Amazon, Jeff Bezos, le fondateur du groupe Virgin, Richard Branson, et le créateur de Facebook, Mark Zuckerberg). Le slogan de la start up BIOMILQ : “Ce n’est pas une formule. Ce n’est pas du lait maternel. C’est BIOMILQ”.

Pourquoi un tel projet ?

Le site Web de BIOMILQ fait les déclarations suivantes :

 L’allaitement est difficile pour la plupart et impossible pour beaucoup.

 Nous sommes des femmes, convaincues par la science et centrées sur la mère.

L’allaitement maternel exclusif est irréaliste pour certaines et impossible pour beaucoup…

Source : www.biomilq.com

L’argument selon lequel l’allaitement maternel et l’allaitement exclusif sont difficiles voire impossibles pour « la plupart des femmes » rappelle la publicité pour les préparations commerciales pour nourrissons (PCN). On pointe du doigt l’arbre qui cache la forêt, le sommet de l’iceberg pour vendre ses produits sans traiter le fond du problème. Comme si l’allaitement lui-même était le problème.

Pourquoi une majorité de femmes n’arrivent pas à allaiter alors qu’en réalité seul un pourcentage très faible de femmes ne peut allaiter pour des raisons physiologiques ? En quoi est-ce difficile ou impossible d’allaiter ?

C’est essentiellement parce que notre société est institutionnellement structurée pour rendre l’allaitement maternel difficile et impossible. La majorité des professionnels de santé ne sont pas formés et ne sont pas en mesure d’accompagner les parents qui ont choisi l’allaitement, les mères sont infantilisées pendant la grossesse et l’accouchement et perdent confiance en leurs capacités, la société fait tout pour séparer les mères et les bébés ce qui crée d’énormes difficultés au quotidien (congé maternité trop court, injonctions, jugements, manque de considération des mères au foyer…).

Fabriquer un nouveau genre de substitut au lait maternel : LA solution ?

L’argument d’une entreprise dirigée par des femmes scientifiques centrée sur les mères est séduisante mais cela ne signifie pas qu’une telle entreprise soit dans l’intérêt des femmes et des familles du monde entier. Au final, leur produit vise à remplacer l’allaitement. Leur but ultime est de faire du profit. L’utilisation de cellules humaines prélevées sur des femmes pour créer un profit rappelle une sorte d’esclavage biologique. Comme le souligne David Alkiber journaliste pour Radio Classique dans sa revue de presse du 11 mars dernier, “Voilà une technologie qui ouvre un abîme de questions bioéthiques : peut-on au nom du changement climatique et du bien-être animal faire du corps de la femme une commodité, séparer cette femme de ses fonctions symboliques les plus puissantes ?”

« Un produit supérieur »?

Les fondateurs de cette start-up sont Leila Strickland, PhD, CMPP et Michelle Egger. Leila Strickland a 2 enfants qu’elle a eu du mal à allaiter. Les deux bébés étaient prématurés (les bébés prématurés ont souvent des difficultés à se nourrir qu’ils soient allaités ou non).

Ses problèmes l’ont amené à réfléchir à un meilleur produit complémentaire pour les mères allaitantes. Elle déclare dans un article du New Harvest : « Une chose à noter est que le lait lui-même est une substance vraiment dynamique qui diffère beaucoup d’une femme à l’autre, et d’un jour à l’autre, en fonction de facteurs de sa propre biologie. Une partie du microbiome qui provient du transfert d’inférence maternelle pendant l’allaitement lui-même n’est pas quelque chose que nos produits reproduiraient. Certains avantages de nourrir le bébé au sein sont susceptibles de subsister. Cependant, notre produit sera largement supérieur sur le plan nutritionnel aux préparations pour nourrissons et offrira aux femmes un mode d’alimentation bien meilleur sur le plan nutritionnel pour leurs bébés et, et un peu plus réaliste pour eux. » Source : https://www.new-harvest.org/biomilq_announces_breastmilk

Vers un futur déshumanisant

BIOMILQ n’est pas la seule entreprise de biotechnologie à s’intéresser au lait maternel cultivé en laboratoire. Une start-up basée à Singapour, TurtleTree, a annoncé qu’elle présenterait son propre lait maternel de laboratoire au public ce printemps. D’autres entreprises ont annoncé des ambitions similaires. Leur leitmotiv : fournir un jour à des millions de personnes un accès à des produits laitiers et de nutrition infantile durables, fiables et de meilleure qualité. 

On peut s’interroger aussi sur ce point : en quoi la fabrication d’un substitut au lait maternel serait plus écologique que l’allaitement ? Ce lait “maternel” de laboratoire nécessitera l’utilisation de biberons et de sucettes. Cela signifiera plus de plastique et plus de dégradation de l’environnement. Les produits de commercialisation pour nourrissons nécessitent un emballage. Nous créerons donc plus de déchets dans nos décharges. Le principe des substituts au lait maternel est que les mères et les bébés soient séparés. Au lieu d’encourager l’allaitement et la séparation minimale des mères et des bébés, notre système capitaliste soutient le contraire. Plus une mère qui allaite utilise des substituts du lait maternel, moins elle produit de lait maternel, ce qui entraîne un sevrage précoce et éventuel.

Ces entreprises veulent-elles vraiment lutter contre le changement climatique ou la course au profit au détriment des bébés est-il le véritable enjeu ? La marchandisation du lait humain et maintenant des cellules mammaires humaines crée l’illusion que ce qui est fabriqué en laboratoire est plus propre et donne accès à une réalité plus “ facile” que l’allaitement. Pourquoi tourner le dos à la Nature de cette façon ? Quand les sociétés qui en ont réellement besoin traiteront-elles les problèmes de fond concernant les faibles taux d’allaitement maternel ? Qui défendra l’allaitement quand la science soutenue par des milliardaires attaquera ses valeurs ?

Angélique Siar

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